Note : update 30/06/24
Rémy Cointreau, valeur habituellement relativement discrète, a été dernièrement au centre de l’attention boursière, pas forcément pour les meilleures raisons qui soient. L’enquête antidumping révélée vendredi affaiblit un groupe nettement exposé à l’Asie (33% du CA) et déjà fragilisé par des ventes affichant des baisses à 2 chiffres.
Disons-le de suite car c’est un capital pour toute analyse sur le titre : Rémy Cointreau est une valeur TRÈS cyclique. Et elle vient juste de vivre récemment ce qu’on peut qualifier comme un super-cycle : un CA en hausse de +50% et un résultat net doublé en l’espace de seulement deux ans entre 2021 et 2023.
Une situation loin d’être exceptionnelle pour un titre habitué aux grands écarts. Entre 2009 et 2013, le CA avait progressé de +67% tandis que les FCF augmentaient de 200 millions sur la période. Après cette hausse spectaculaire du CA entre 2009 et 2013, les années suivantes ont été clairement moins dynamiques. Si bien qu’il avait fallu attendre 2022, soit 9 années pour pouvoir dépasser ce chiffre d’affaires de 2013. Rémy Cointreau avait donc mis très longtemps à digérer son super-cycle précédent. Alors, vous voyez probablement très précisément où je veux en venir.
La chute de près de -64% du cours de bourse sur ses plus hauts, m’apparaissait comme un point d’entrée intéressant sur une valeur de qualité. Or ces éléments vus plus hauts, viennent nettement nuancer ce premier avis positif. En tant qu’investisseur, seriez-vous intéressé par une valeur qui a mis 9 ans pour retrouver son niveau de CA ?
Avant d’aller plus loin il me faut toutefois nuancer ce propos. Pour les vendeurs d’alcools, les marchés sont très différents et l’équation finalement assez simple : la clé c’est les marges. Et globalement il s’agit de vendre moins ou autant, mais plus cher. Les pays en développement offrent des opportunités intéressantes pour vendre plus de volumes, mais à l’inverse, les pays matures comme l’Europe ou les USA voient une tendance structurelle de longue date et de long terme de baisse de la consommation d’alcools. Les alcools les plus consommés (vins et bière) sont les plus touchés mais le phénomène est assez général. Donc en grossissant un peu le trait, le chiffre d’affaires n’augmente pas énormément sur le long terme mais les marges elles si. C’est d’ailleurs ce qui explique la belle hausse de Rémy Cointreau en bourse malgré le fait que le groupe ait dû attendre 2022 pour retrouver son niveau de CA en 2013.
Voyons un peu en détail combien peut être valorisé Rémy Cointreau aujourd’hui via mon habituel exercice de valorisation.
En résumé
Nous partons d’une valorisation de base à 68.98€ (17.5x les résultats 2024/25 sur une moyenne très grossière du secteur ; Pernod Ricard 16.9x , Diageo 18x).
- BILAN : L’endettement reste maitrisé à 1.6x l’Ebidta. Pas de risque lié aux écarts d’acquisition qui sont assez insignifiants (24 ME).
o Prime/décote sur le BILAN : +0%
- TRACK RECORD CREATION DE VALEUR : La génération de trésorerie variant fortement, les conclusions sont plus difficiles sur une activité fortement cyclique. Les FCF 2023, exercice record, sont nettement en dessous de ceux de 2018 (49 vs 150 ME) et 2x moins importants qu’en 2013. L’activité ne semble pas capable de générer plus de valeur sur le LT (en remontant aussi loin qu’en 2004 on trouve des FCF à hauteur de 99 ME). Sur la marge d’EBIDTA, le constat est meilleur puisque Rémy Cointreau a réussi à nettement augmenter sa marge d’Ebidta par rapport à 2018 et à 2013. Même sur l’exercice 2024 attendu nettement en baisse, celle-ci devrait rester proche des 30%.
o Prime/décote sur TRACK RECORD : -7% (-15% FCF dev, +8% EBT dev)
- MARGE NETTE & FCF : Comme la majorité des entreprises du secteur, Rémy Cointreau génère une très belle marge nette, entre 15 et 20% selon les années. La marge de FCF est moindre et beaucoup plus irrégulière.
o Prime/décote sur MARGE NETTE & MARGE FCF : +8% (+10% MN, -2% MFCF)
- RATIOS de VALORISATION : Valorisé à un PE 2024 élevé à 21.3, Rémy Cointreau est paradoxalement moins valorisée que sa moyenne historique, légèrement supérieure à 30x les bénéfices. Elle est toutefois plus valorisée que ses concurrents, globalement valorisé sous un PE de 20. A 2.09x son actif net, Rémy Cointreau est plutôt chèrement valorisé sur le plan comptable.
o Prime/décote sur RATIOS : +2% (+7% vs histo, % vs sectoriel, -5% vs PTB)
- CROISSANCE : En prenant le chiffre d’affaires 2023 ou 2024, l’histoire est complètement différente. Il me semble pour ma part assez clair que RC n’est pas près de repasser au-dessus de son CA de 2023. En prenant comme base 2024 comme pour le reste de mon analyse, il en ressortirait une croissance annuelle de près de 5.7% entre 2024 et 2029. Tout juste suffisant pour repasser au-dessus du CA 2023 et 2029 selon cette hypothèse. Toujours en prenant 2024 comme base, les résultats et la trésorerie devraient assez nettement rebondir dans les 2 années à venir.
o Prime/décote sur CROISSANCE : +14% (+19% CAGR 24/29, +5% RN/FCF 26 vs 24)
- AUTRE : Difficile d’ignorer l’enquête en Chine sur une entreprise qui y fait près de 1/3 de son business. Le marché a d’ailleurs lui sanctionné d’un -12% lors de cette annonce. Je serai plus mesuré pour ma part avec un -10%.
Autre point qu'il faut absolument prendre en compte sur le dossier, ce sont les stocks stratégiques d'eau de vie. Entrés à 1.6 Milliard au bilan (valorisation qui correspond au stock en cours de maturation mais pas du tout au produit fini), ils étaient récemment valorisés par le cabinet TP Icap à 2.6 Milliards. En étant prudent, je retiendrai une valorisation de ces stocks à 2 Milliards soit 39€ par action qui seront rajoutés à ma valorisation finale.
o Prime/décote sur AUTRE : -10% ; +39€/actions
- Somme de toutes les primes et décotes : +5%
- Valorisation FINALE : 122.29€ (83.29€ sans les stocks)
- GAP vs cours actuel : +57%
Sous éval sous (103.94€) ___ Fair value (122.69€) ___ Sur éval au-delà de (140.63€)
FORCE / OPPORTUNITÉS
- Forte marge d’EBIDTA
- Bon niveau de marge nette
- Décotée par rapport à son historique LT
- Pas de risque lié au Goodwill
- Croissance et amélioration des résultats attendus après l’exercice 2024
- Stocks stratégiques d'eau de vie valorisés au bas mot à 2 Md
FAIBLESSES/MENACES
- Entreprise très cyclique qui sort tout juste d’un super cycle (lors du Super cycle de 2009 à 2013 ou il avait ensuite fallu attente 2022 pour dépasser le CA 2013)
- Génération de trésorerie très variable et qui ne croit pas du tout sur le LT (FCF 2022 & 2023 < à FCF 2004)
- PE toujours nettement plus cher que la concurrence malgré une chute du cours plus importante -64%)
- Enquête en cours en Chine sur un marché qui représente près de 1/3 du CA
CONCLUSION
La baisse du cours depuis les plus hauts (-64%) donne une certaine attractivité au dossier. De même, les ratios de valorisation sont sous leurs moyennes à LT. Il y a à mon sens des aspects négatifs (la génération de trésorerie à LT n’augmente pas) et des risques (risque sur la croissance après un super cycle, enquête en Chine).
Le retour sous les cours de mars 2020, en plein krach covid rend le dossier intéressant. En regardant divers ratios de valorisation il n'a jamais été aussi peu cher sur ces 10 dernières années et la valorisation de ces stocks stratégiques apportera également une certaine marge de sécurité à l'investisseur.
En revanche, il ne faut probablement pas s'attendre à une forte reprise mais à une croissance plutôt modérée. A cette valorisation, ça ne semble pas vraiment être un soucis.
DISCLAIMER :
Ce travail n'est en aucun cas un conseil en investissement.
Il a simplement pour vocation de faire un exercice de valorisation sur une entité cotée avec la méthode que j'ai développée.
Celleci tente de prendre en compte le plus exhaustivement possible les critères essentiels influençant la valeur d'un titre coté mais il s'agit d'une méthode perfectible développée par quelqu'un qui n'est pas un professionnel de la finance.
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