2021 (-50%) et 2022 (-75%) avaient été des années particulièrement difficiles pour Atos et surtout pour ses actionnaires avec une longue descente aux enfers. 2023 s’ouvrait avec un léger regain optimisme avec l’intérêt d’Airbus pour rentrer au capital de la nouvelle société Eviden. Le putsch raté contre le président du conseil d’administration Bertrand Meunier fin juin lors d’une assemblée agitée n’avait pas non plus altéré une patiente mais constante remontée du cours qui affichait +63% fin juillet.
Oui mais voilà, Airbus a renoncé et les comptes semestriels sont apparus plus inquiétants que prévu. Cerise sur le gâteau, la vente annoncée de Tefco, loin d’être créatrice de valeur, s’accompagnera d’un chèque à l’acquéreur tandis que l’entité restante, Eviden, sera lourdement endettée avec grosse augmentation de capital à la clé.
Le résultat ? -52% depuis la publication des comptes semestriels, une visibilité nulle et une levée de boucliers de tous les côtés contre ce plan de cession. Celui-ci pourrait bien être l’élément qui cristallise et précipite des changements au sein d’une direction intouchable jusque-là et qui aura pourtant mené un groupe du CAC 40 au bord de la faillite.
I – UN PLAN DESORMAIS DE L’IMPASSE
2021 avait marqué la prise de conscience réelle qu’Atos n’était plus ce groupe star de technologie du CAC40 qui avait d’ailleurs bouté Atos hors de l’indice.
2022 avait viré au tragicomique avec la nomination de Rodolphe Belmer, jeté dehors par Bertrand Meunier et son CA suite à d’importantes divergences d’opinion sur la stratégie du groupe.
Un an après, avec un plan de scission dans l’impasse, force est de constater que Belmer avait sans doute une meilleure solution, puisqu’en cédant BDS pour plusieurs milliards, Atos aurait pu tranquillement financer la restructuration de ses activités d’infogérance tout en envisageant d’autres cessions d’activités non-essentielles avec moins de contraintes de temps.
Au lieu de ça, Atos s’était engagé dans un plan de cession de ses activités pour séparer ses activités historiques d’infogérance de ses activités de cybersécurité, cloud et supercalculateurs, réunis dans une même nouvelle entité. L’idée ? Restructurer les activités d’infogérance tout en faisant rentrer un acteur de référence au capital de la nouvelle entité afin d’apporter de nouveaux financements et de stabiliser l’actionnariat.
Ce plan du CA est d’abord très mal accueilli par les investisseurs avec un cours qui s’écroule de -50% en une semaine (le cours reperdra -40% dans les 3 mois suivants). Mais début 2023, l’intérêt d’Airbus pour rentrer au capital d’Eviden semble finalement donner un certain crédit à ce plan.
Il n’en fut rien puisque Airbus annonce renoncer, découragé par certains de ses actionnaires, effrayés par la situation actuelle d’Atos et pas convaincus que la mariée Eviden est aussi belle que présentée. L’état avait découragé tout prétendant étranger d’approcher Atos au complet, aussi il n’est pas complément exclu qu’un certain nombre de hauts fonctionnaires d’état aient vu d’un mauvais œil ce deal avec Airbus qui aurait un peu trop rapproché les activités sensibles d’Eviden de Berlin …
La publication de comptes semestriels dégradés n’a pas arrangé les affaires des porteurs de ce plan. Les comptes semestriels ont mis en lumière que la restructuration brule plus de trésorerie que prévu, que les marges de Tefco ne sont pas aussi belles que celles présentées un moins plus tôt tandis que la croissance d’Eviden ne fait pas rêver.
C’est surtout la situation de trésorerie qui inquiète avec -969 million sur le seul S1. En outre, l’annonce de cessions supplémentaires pour 400 millions indique clairement qu’Atos cours après le cash, après avoir pourtant finalisé nombre de cession (700 millions) et liquidé l’entièreté de sa participation dans Worldline. La dette elle, augmente également de façon substantielle.
L’annonce du fameux deal avec Kretinsky tombe seulement quelques jours plus tard. En insistant sur un relèvement d’objectifs lors de sa présentation de résultats, Atos a tenté d’atténuer le flot de mauvaises nouvelles de cette publication de résultats. Peine perdue.
En annonçant un deal avec Kretinsky seulement quelques jours plus tard, il était également clair que la direction réagissait dans l’urgence, grillant une cartouche gardée précieusement en réserve (pourquoi ne pas l’avoir annoncée 4 jours plus tôt sinon ?).
Cette annonce satisfait dans un premier temps les investisseurs. Le cours enraye sa chute et s’offre même un joli rebond. Juste le temps pour ces derniers de réaliser qu’ils ont été roulés dans la farine par une communication volontairement trompeuse et ambigüe du groupe.
Personne ne comprend dans un premier temps si Kretinsky reprend ou non une partie des dettes. Il est désormais très clair qu’Atos paye bien Kretinsky pour reprendre Tefco alors qu’Atos venait tout juste de finir de payer sa restructuration ! De plus, le board d’Atos s’était engagé à peine un mois plus tôt à n’accepter qu’une offre ‘créatrice de valeur pour les actionnaires’ tout en n’envisageant ‘pas d’augmentation de capital’. Raté sur tous les plans puisque cette vente s’accompagne d’une double augmentation de capital.
Et c’est là en quelque sorte la goute d’eau qui fait déborder le vase. Cette annonce de la vente de Tefco était supposée stopper l’hémorragie et faire remonter le cours. Kretinsky devait lui-même entrer au capital d’Eviden à un prix de 20€ par actions. Or avec cette nouvelle chute, c’est désormais l’incertitude totale sur cette augmentation de capital puisqu’aucun prix n’a été communiqué et qu’avec un cours au tapis, celle-ci devrait être extrêmement dilutive. Une punition de plus pour les actionnaires d’Atos.
Mais cette vente de Tefco à Kretinsky pourrait bien malgré tout être cette bouée de sauvetage tant attendue pour les actionnaires. Elle a réveillé des forces jusque-là silencieuses et s’aliène désormais des oppositions de toutes parts. Si bien qu’on peut désormais penser qu’avec l’échec du plan défendu par le CA d’Atos, une situation qui continue de se dégrader et une vente qui ne passe pas, le management d’Atos pourrait arriver en bout de course.
II – UNE OPOSITION QUI SORT DE TOUS BOIS
Malgré la descente aux enfers d’Atos (-93% en 5 ans), il y a eu une continuité dans le management. Bertrand Meunier, le président du CA y est depuis 2013. Les divergences d’opinion n’existent pas, et les vues différentes sont vites écartées comme avec Rodolphe Belmer en 2022.
Une des raisons à ce statut d’intouchables ou presque des membres du CA est l’actionnariat très éclaté d’Atos, avec peu de fonds ou d’acteurs institutionnels au capital (ils sont encore moins nombreux maintenant).
Excédés par cette gestion calamiteuse et cette absence de remise en question, le fond Sycomore avait bien tenté en juin 2022 de fédérer une opposition pour éjecter le président du CA.
Sycomore est partit trop tard et c’était de toute façon une mission quasi impossible vu les éléments évoqués plus hauts. Les frondeurs avaient tout de même réuni 33% des voix appuyant la révocation de Bertrand Meunier. Ce putsch raté a toutefois eu le mérite d’entrouvrir la porte.
Une porte qui est désormais grande ouverte depuis l’annonce du deal avec Kretinsky, qui réussit à fédérer nombre d’acteurs jusque-là silencieux contre lui.
Une tribune de 82 sénateurs s’inquiète également ouvertement de ce deal, estimant qu’Atos « doit absolument être maintenu dans le giron Français ». Ils s’inquiètent également de l’entrée de Kretinsky au capital d’Eviden : « la situation financière d'Atos est aujourd'hui telle qu'il n'est plus si certain qu'Eviden sera protégée. « L'hypothèse de voir un acteur étranger si puissant, s'approcher de nos capacités militaires ultra-sensibles, mérite toute notre attention. Avec Daniel Kretinsky, on fait entrer le loup dans la bergerie ».
Les sénateurs ne sont pas les seuls à s’offusquer de ce deal. Des petits actionnaires d’Atos tentent de se regrouper pour mener une fronde contre ce deal et renverser le conseil d’administration d’Atos. Ceux-ci ont été l’UDAAC (l’Union des Actionnaires d’Atos en Colère) avec le plus gros actionnaire individuel d’Atos, Hervé Lecesne à leur côté.
L’opposition contre le deal semble même se renforcer puisqu’un fond activiste est lui aussi entré dans la danse avec le même objectif de faire capoter le deal. « Les actionnaires actuels d'Atos se font complètement spolier ! L'augmentation de capital fait plonger le cours et pendant ce temps, ils n'ont aucune chance de bénéficier du redressement à terme de Tech Foundations alors que Daniel Kretinsky est quasiment assuré de faire une importante plus-value avec cet actif car il pourra le redresser avec l'argent qu'on lui verse. ». Avec une lettre envoyée à l’AMF et au board d’Atos, le fond activiste est directement passé à l’offensive et vise un tiers des votes à la prochaine AGE pour faire barrage au deal.
Cette entrée dans la danse d’un fond activiste est le signe d’un revirement plus intéressant qu’il n’y parait. Ces fonds activistes n’osaient pas lancer de campagne de peur de se heurter à l’Etat français alors que beaucoup s’étaient sérieusement penché sur le cas Atos : Amber, CIAM, Bluebell, Atlantic ou Weinberg Capital.
Conclusion
A défaut de faire échouer le deal avec Kretinsky, tous ces éléments vont rendre sa réalisation bien plus difficile que le management d’Atos ne le pensait.
Peu se sont opposés à la gouvernance d’Atos. Rodolphe Belmer ou Sycomore ont essayé mais échoués, étant trop isolés pour imposer leur vision des choses.
Aujourd’hui il n’y a plus une mais des oppositions. Les sénateurs, les minoritaires qui se regroupent et maintenant un fond activiste, ça commence à faire beaucoup. La vitesse avec laquelle ces oppositions se dévoilent ces derniers temps est également un signe, c’est un peu comme si tous les loups se décidaient à sortir du bois en même temps. Et ce n’est peut-être pas finis …
En fédérant les oppositions et en libérant celles-ci, ce deal pourrait aussi considérablement fragiliser la gouvernance d’Atos, qui avait mis tout son poids et une bonne partie de sa crédibilité dans celui-ci. Le CA d’Atos survivrait-il si ce deal était avorté ?
De plus, avec un deal et un management d’Atos fragilisé, le moment ne serait-il pas parfaitement opportun pour qu’un acteur se dévoile et fasse une offre sur Eviden ou Atos au global ? Fragilisé, le CA d’Atos pourrait être contraint d’accepter si une offre correcte arrivait sur la table.
Une chose est sure, il y aura encore des rebondissements sur le dossier Atos, la saga est loin d’être finie et bien malin celui qui aura le fin mot de l’histoire.
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