Atos a fait beaucoup parler depuis deux ans. Le début d’un feuilleton haletant aux multiples rebondissements sur fond d’OPA. Mais ce qui marque surtout Atos, c’est une chute abyssale de son cours qui ne semble pas avoir de fin. L’OPA tant espérée ne vient pas alors que les fonds vautours s’acharnent sur la bête blessée. Atos peut-elle encore se redresser ? Un chevalier blanc viendra-t-il alléger (un peu) la peine des actionnaires ? Ou bien la société continuera-t-elle à foncer tête baisser dans le mur, courant à sa ruine ? Éléments de réponse et tentative de valorisation.
CONTEXTE :
Difficile de savoir par où commencer sur le cas Atos tant il y a à dire. La comparaison avec Capgemini et d’autres acteurs du secteur est terrible pour Atos. Le secteur est ultra porteur et rentable alors qu’Atos est engluée dans une décroissance chronique dont la société n’arrive pas à se sortir malgré des acquisitions onéreuses ces dernières années. Et c’est par cette décroissance que les ennuis boursiers d’Atos commencent. Le management à beaucoup promis, le cours a tangué, mais globalement, les actionnaires ont avalé les couleuvres sans trop sourciller. Mais tout ça s’est arrêté fin 2020, où l’accumulation des ennuis et la somme des erreurs stratégiques du management ont éclaté au grand-jour.
Depuis ? Une descente aux enfers sans commune mesure, quasiment unique hors Krach ou scandale énorme pour une société de cette envergure. En 18 mois le cours est en effet passé de 76.2 en décembre 2020 à 10.3 début juillet 2022 soit une baisse de 87% ! Alors quels événements en sus du constat de décroissance initiale ont mené à ce désastre boursier ? Éléments de réponse à travers un petit historique.
En Janvier 2021, Atos souhaite lancer une OPA sur DXC Technologies. Mal accueillie, l’offre est rapidement abandonnée après que le titre ait chuté de 13% en une journée. Fin mars 2021, ce sont les comptes qui n’ont pas été certifié dans leur totalité. Un avertissement sur résultat précède la publication d’un premier semestre en perte de 129 millions alors que la concurrence publie des bénéfices records. En septembre, Atos quitte le CAC 40. En octobre, le DG Elie Girard démissionne. L’action termine l’année 2021 à un cours de 38€, pratiquement un moindre mal à la vue de la tempête dans laquelle le groupe est empêtré.
En en 2022 me direz-vous ? 2021 pouvait sembler être une année noire pour le groupe mais elle ferait presque figure de bonne année à côté de 2022. Le 10 janvier, le cours dévisse de 20% supplémentaire et ce n’est que le début de la cata. Le nouveau DG prend ses fonctions et annonce un plan à venir pour redresser Atos. Mais quelques jours avant la présentation du fameux plan, la guerre entre le nouveau DG et son directeur financier Bertrand Meunier éclate au grand jour : Rodolphe Belmer d’un côté, est ouvert à une vente des activités de cybersécurité pour renflouer le groupe alors que Bertrand Meunier s’acrroche à la pépite et campe sur son idée de vente des activités d’infogérance (qui n’intéresse personne visiblement). Et là c’est le drame : Game over pour le nouveau DG à peine 6 mois après sa prise de fonction ! La guerre interne éclate au grand jour. On apprend également qu’une offre de 2.7 Mds pour les activités cybersécurité d’Atos a été refusée par le CA plus tôt dans l’année. C’est la goutte d’eau qui fait déborder un vase déjà bien trop rempli. Atos perd cette fois 60% de son cours en quelques jours et s’écroule juste au-dessus des 10€.
Et les raisons sont implacables : l’entreprise ne va nulle part. Son conseil d’administration est attaqué et totalement décrédibilisé. En sus, son nouveau plan annoncé (exit la réorganisation en 3 pôles voulue par M. Belmer, mais il fallait bien annoncer quelque chose malgré tout) va coûter un bras à l’entreprise : 1.7 Mds pour, ils l’espèrent, produire des résultats à horizon 2026/27. Le moins que l’on puisse dire, c’est que les actionnaires n’ont pas été convaincu. Ces derniers peuvent également faire une croix sur le redressement espéré à court ou moyen terme. Cette situation laisse Atos en déroute absolue. Le groupe est désormais la proie vendeurs à découvert qui font la pluie et le beau temps sur le titre avec plus de 12.2% du capital aux dernières nouvelles. Ils s’acharnent en bande organisée comme jamais sur leur victime, pas effrayés le moins du monde par la baisse abyssale des cours. Ont-ils eu vent d’un autre cadavre dans le placard ? On ne serait plus à ça près avec Atos.
Seul Thales, toujours très intéressé par l’activité BDS d’Atos semble pouvoir apporter une lueur d’espoir aux actionnaires. A part Thales ? Pas grand monde ne semble intéressé, Capgemini a déjà fermé la porte à deux reprises alors que l’état Français a clairement réduit la liste des prétendants. Cette hypothétique OPA se heurtera toutefois au véto de M. Meunier tant que celui-ci siégera au CA. Sous la fronde des actionnaires, celui-ci peut-il encore rester longtemps à son poste ? Son départ serait clairement un signal pour Thales qui ne se presse pas sur le dossier, et regarde attentif Atos s’enfoncer dans les abysses (pourquoi se presser vu qu’ils semblent être les seuls sur le dossier ?). L’état Français qui a multiple reprises rappelé l’intérêt stratégique d’Atos regarde également, mais sans sourciller, malgré la présence d’un ancien premier ministre dans son conseil d’administration.
La société est au fond du trou c’est indéniable, mais a-t-elle touché le fond pour autant ? C’est très loin d’être acquis tant la société est minée par les dissensions internes, décrédibilisée, attaquée et complétement acculée par les fonds vautours. Toutes ces raisons plaident davantage pour le contraire. Pourtant il-y a de l’espoir, Atos a des atouts. Les activités infogérance plombent le groupe mais BDS est une perle qui génère une belle croissance dans un secteur ultra-porteur. Cette bouée de sauvetage peut-elle sauver Atos ? La société doit-elle coute que coute s’y accrocher ou doit-elle au contraire s’en séparer pour mieux s’en sortir ? C’est tout le dilemme en somme. Nous allons maintenant tenter de faire l’exercice de valorisation (loin d’être évident vu la situation) de la société.
RATIOS DE VALORISATION
Les capitaux propres d’Atos représentent près de 3.5 x sa capitalisation. Difficile en revanche d’intégrer son PER vu le résultat négatif de l’année précédente et celui probable de l’année à venir. Du fait de son cours actuel, Atos est désormais très éloigné des multiples du secteur et de ses multiples historiques. Vu son absence de croissance, Atos est bien évidemment une ‘value’. Aussi surprenant que cela puisse paraitre à première vue, Atos dispose bien d’un MOAT, qui se caractérise par des savoir-faire uniques dans les domaines technologiques et quantiques.
Ø En conclusion, Atos s’en sort honorablement sur cette première partie avec un score de 27.5 points en milieu de la fourchette allant de -40 à +80
DYNAMIQUE ET BILAN
En regardant le graphique sur la dynamique de groupe (source : Zone Bourse), difficile d’ignorer la trajectoire de décroissance dans laquelle est enfermée Atos. Le CA de l’année précédente a été à nouveau en déclin alors que le résultat intégrant des dépréciations a été tout simplement abyssal. L’exercice en cours est attendu un peu meilleur (difficile de faire pire en même temps) mais probablement encore en déclin avec de nouvelles dépréciations. Pas vraiment de croissance attendue dans les 5 ans non plus. La croissance sectorielle pourrait toutefois tirer l’activité du groupe. Les activités de cybersécurité bénéficient clairement d’une tendance de fond qui s’inscrit dans la durée. Les dettes, elles sont largement supérieures aux capitaux propres tout en représentant une part non négligeable du CA, loin d’être à un niveau problématique toutefois. La visibilité est complétement nulle, hormis pour BDS qui dispose de solides perspectives de croissance.
Ø Sur cette deuxième catégorie, Atos ne réussit pas à inscrire un score positif et termine avec un score largement négatif de -14.5.
MACRO
Le contexte macroéconomique est dégradé alors que le mot récession est sur toutes les lèvres. Les pénuries subies par beaucoup de secteurs n’affectent pas Atos, alors que l’inflation, si elle n’est pas négligeable, est globalement moins problématiques que dans d’autres secteurs.
Ø Atos obtient un score de -5 ici, juste en dessous de la moyenne encore une fois.
ENVIRONNEMENT INTERNE ET EXTERNE
Quelques achats dirigeants mais ceux-ci sont anecdotiques. Ils sont plutôt à interpréter comme des tentatives du board pour rassurer le marché. Le nouveau plan présenté est couteux (1.7 Milliards !) et va brûler pratiquement tout le cash restant du groupe. D’ailleurs, ce cash suffira-t-il ? Augmentation de capital loin d’être exclue ici. Et même si le plan arrivait à sa conclusion avec la scission en 2 entités intervenait, peu de chance pour les actionnaires de s’y retrouver au final. Enfin Atos est la cible depuis 2 ans de short. De plus en plus agressifs, ceux-ci se renforcent et font d’Atos la valeur la plus shortée en France. Ils détiennent maintenant plus de 12.3% du capital. Ces derniers continuent même de se renforcer après la chute vertigineuse de ces dernières semaines. Pas rassurant du tout …
Ø Avec un score de -16.5, perd beaucoup de points ici.
MANAGEMENT
Difficile de faire pire que le management d’Atos ces dernières années. Acquisitions surpayées, passivité, incapacité à se transformer, dissensions, guerres internes. Pas besoin ici de rappeler la liste des événements qui ont amené Atos à la cave, mais Atos restera probablement dans les livres boursiers pour les mauvaises raisons à savoir, comment un mauvais management peut conduire un groupe solide, bien positionné droit dans le mur.
Ø Le score de -20 reflète le piètre management d’Atos : crise de gouvernance, guerre interne, absence de stratégie, communication catastrophique.
CATALYSEURS + HISTORIQUE
C’est la catégorie qui permet de sauver (un peu) le score d’Atos. L’OPA qui plane toujours au-dessus du dossier reste un puissant catalyseur potentiel. Les profit warnings ne sont enchaîné l’année passée alors que l’historique des cours pourrait difficilement être pire.
Ø Un score positif ici pour Atos avec un score de 12.
NOTE FINALE
VALORISATION SECTORIELLE
Atos se paye au cours actuel 0,13 x son chiffre d’affaires. A titre de comparaison, Capgemini se paye 1,63 x son CA. Le meilleur comparable sur le marché pour Atos est plutôt Sopra-Steria à mon sens, qui a un des activités plus proches et un parcours plus accidenté, à 0,65 x le CA. Sur cette base et en appliquant une décote (santé financière relativement médiocre), la capitalisation sur base comparable ressort à un peu plus de 7 Milliards, soit 53.49€ par titre.
JUSTE VALORISATION
Décote / bonus santé financière
A l’issue de ce travail de valorisation intégrant la dynamique du groupe, sa santé financière, ses perspectives de croissance et l’étude de ses comparables; le calcul fait ressortir une juste valorisation du titre à 23.65€. Soit un potentiel de 92.6% au cours actuel.
CONCLUSION
La valorisation d’Atos est à première vue délirante. 1.3 Milliards pour une SI faisant plus de 11 Milliards de CA ! Oui mais voilà, le parcours boursier catastrophique et l’incompétence du management ont finis de faire complétement fuir les investisseurs, même les plus téméraires. Et le pire ? La société n’offre aucune perspective de redressement à court ou moyen terme, elle ne peut même pas faire rêver, le plan annoncé propose tout l’inverse. Alors dans ce contexte, difficile de valoriser Atos beaucoup plus que son cours actuel tant que la société n’aura pas passé un bon coup de balais en son sein. La société doit récupérer de la visibilité et des perspectives un minimum attrayantes pour attirer à nouveau les investisseurs. La valorisation proposée de 23.65€ par titres apparait même très généreuse vu le contexte. Elle est tenue à bout de bras par le catalyseur que représenterait un OPA. Elle ne dépeint toutefois pas le prix qui pourrait être proposé en cas d’opération capitalistique (probablement plus haut) mais davantage la prime de risque que représente celle-ci.
OPINION > A L’ECART.
Atos est un dossier trop dangereux. La prime de risque de l’OPA n’est pas un argument suffisant pour rentrer sur le titre. Celui-ci n’a que trop déçu. Le dossier n’offre aucune perspective de redressement rapide alors qu’une guerre interne éclate en son sein avec de fortes divergences d’opinion sur la marche à suivre pour redresser le groupe. Un départ de M. Meunier, des changements majeurs dans le management et encore davantage l’ouverture officielle des négociations pour une OPA seraient des arguments pour revenir sur le titre.
Rappel : Ce travail n’est en aucun cas un conseil en investissement. Il vise simplement à produire une analyse d’une société cotée et tente de valoriser celle-ci au vu des éléments analysés.
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