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Comment Bigben a tout raté avec Nacon



Nacon c’est l’une des belles histoires ratées de ces dernières années sur la place boursière Parisienne. De l’une des introductions les plus réussies, Nacon est passé au statut de paria dont plus personne ne veut entendre parler. Il faut dire que les déceptions ont été nombreuses, les promesses se transformant continuellement en déceptions.


Comment Nacon a-t-elle pu décevoir à ce point les investisseurs ?


Tout est-il à jeter sur ce dossier qui se paye désormais 10x ses bénéfices 2023 et 5x ses bénéfices anticipés sur 2024 ? Essayons d’y voir plus clair.


I - Bref historique menant à la création de Nacon


Bigben s'est lancée à partir de 2017 dans l'intégration de studios. Elle sous-traitait jusque-là leur conception, avec une petite dizaine de sorties de jeux par an.


Avec 17 jeux en 2019, il y a une montée en puissance rapide avec un objectif devenu clair : Devenir le leader mondial dans les jeux AA. « Nous entendons devenir un acteur global de premier plan de cette industrie en développant et distribuant un large catalogue de jeux AA ».


Les jeux AA sont des jeux au budget maîtrisé, avec une logique de spécialisation et de recherche de niches aujourd'hui peu ou pas exploitées par les majors de l'industrie. Les jeux AA correspondent à tous les jeux dont le nombre de ventes se situe entre 200 000 et 3 millions d’exemplaires et dont les budgets sont compris entre 1 et 20 M€.


Cette politique d'acquisition menée depuis 2017 par Bigben repose sur l'intégration de studios disposant d'une expertise reconnue dans les genres ciblés par le Groupe (Racing, Sports, Simulation, Aventure, Action, RPG et Narratif) et d'une expertise technique.


Fin 2019, Spiders est le quatrième studio que Bigben acquiert en 18 mois. Cyanide Studio, Eko Software et Kylotonn ont été précédemment acquis. L’accumulation de ces studios rend assez vite l’activité d’édition de jeux vidéo assez importante, la place de cette activité ne cessant de gagner du terrain (43% du CA en 2018).


Aussi, l’idée de créer une entité pour regrouper ces studios commence à germer. En outre, coter cette entité en bourse va permettre une levée conséquente de capitaux et donner une puissance de frappe conséquente pour nettement accélérer la stratégie de développement en ayant les moyens d’aller chercher d’autres studios.


C’est la naissance de Nacon qui va regrouper toute cette partie édition de jeux vidéo.


II - Une IPO en point d’orgue, réussite sur le papier


Nacon entre sur le marché début 2020. Tout juste avant le covid. Un sacré baptême du feu …


Avec 100€ millions levés, Nacon affiche une capitalisation boursière de 458 millions d’euros. L’Offre a connu un franc succès auprès des investisseurs institutionnels et internationaux, et le Placement Global a été sursouscrit 4,0 fois.


Pendant 1 an, Nacon c’est une véritable histoire d’amour avec la bourse : le cours s’apprécie de 50% jusqu’à un pic à 8.50€.


Car dans le même temps, Bigben ne chôme pas, continuant sa stratégie ultra agressive d’acquisition de petits studios pour renforcer Nacon :

- Janvier 21, achat de Big Ant studios pour 35 ME (AO Tennis, Cricket 19)

- Avril 21, achat du studio Français Passtech Games (Curse of the dead gods)

- Octobre 21, achat du studio Français Ishtar games (The last spell)

- Février 22, achat du studio Français Midgar studio (J-RPG, Edge of Eternity, un final fantasy à la Française)

- Février 22, achat du studio Allemand Daedalic pour 53 ME (Le seigneur des anneaux, Gollum)

- September 22, achat du studio Canadien Crea-ture studios (jeu de skatebord Session)


Nacon avait absolument tout pour réussir avec cette introduction réussie, un cours qui a flambé pendant 1 an, et la concrétisation de cette stratégie ultra-agressive en termes d’acquisitions.

Alors qu’est ce qui a bien pu clocher en envoyer le cours aussi bas ? Depuis ses sommets de 8.50€ en février 2021, Nacon a en effet chuté de près de 85% jusqu’à atteindre ses plus bas actuels autour de 1.30€. Éléments de réponse.


III - Qu’est ce qui n’a pas fonctionné ?


- Un management bien trop confiant

Le cours de Nacon atteint son top en février 2021 à 8.35€. C’est le début d’une longue et violente chute. Pourtant, en 2021, tous les voyants sont au vert. En avril 2021, Nacon annonce un chiffre d’affaires de 178 ME, en hausse de +37,5% et supérieur à l’objectif lui-même déjà rehaussé.


Avec cette fin d’exercice très dynamique, le management de Nacon est confiant. Beaucoup trop confiant, sans doute gagné par des marchés en pleine euphorie et oubliant que l’environnement de confinements qui profite aux jeux-vidéos ne sera pas éternel. Après un exercice 20/21 conclu à 177.9 ME, Nacon rehausse significativement ses objectifs 22/23, passant d’une fourchette 180/200 ME à 230/260 ME. Une fourchette qui sera étendue jusqu’à 300 millions.


Le management est pourtant bien conscient de ce contexte très favorable : "Le contexte sanitaire a surtout dopé nos ventes digitales lors de notre exercice clos à fin mars avec notamment un triplement des ventes issues du back catalogue »


En fait, le management a beaucoup misé sur la sortie de titres majeurs pour dynamiter les ventes « 2022/23 devrait être une grande année avec le lancement de 4 jeux au potentiel de vente supérieur au million d’exemplaires, pouvant chacun dégager 25M€ de CA. En tablant sur 50% de succès, il nous est apparu logique de relever nos objectifs 2022-23 à 230-260 M€ ».


Or dès le T1 21/22, il y a mauvaise surprise puisque Nacon délivre un T1 à -11.3%. Les trimestres suivants ne parviendront pas à relever la dynamique alors que Nacon s’enfoncera dans une dynamique de baisse des ventes qui entamera fortement la crédibilité du management.


- Un rachat d’action qui pose question

Dans le même temps, Bigben choisit de se lancer dans un rachat d’actions, nouveau signe d’un management dont la confiance est gonflée à bloc.


Bigben commence donc à racheter ses actions au prix moyen de 15.24€. Certes, c’est toujours beaucoup plus facile après coup, mais en sachant que les actions Bigben cotent aujourd’hui 3.16€ je vous laisse juger l’opportunité de ce rachat d’actions.

Il y a en fait plusieurs TRÈS GROS PROBLÈMES ici, en fait c’est même catastrophique pour un certain nombre de raisons que je vais évoquer.


Je l’ai abordé précédemment mais ce rachat d’action massif traduit un emballement du management, une sur confiance. Et une cruelle absence de prudence que le groupe va finir par payer très cher.


Si on prend le rachat d’actions entre septembre 2021 et mars 2022, Bigben a racheté 454 786 actions à un prix moyen autour de 12.50€ = 5.7 millions d’euros sur une période de 6 mois!

Ça veut donc dire que Bigben a dépensé 35% de son résultat de l’année pour racheter ses propres actions et en l’espace d’à peine 6 mois !

Outre l’excès de confiance que ça traduit, il faut avoir à l’esprit que même les entreprises qui rachètent le plus d’actions rachètent rarement autant et en aussi peu de temps (hormis Téléperformance peut-être) : On parle ici de 2.35% du capital racheté en 6 mois.


Ensuite le profil des entreprises qui procède à des rachats d’actions massifs n’est pas du tout celui de Bigben. Les gros rachats d’actions sont rarement effectués par des entreprises en forte croissance mais plutôt un moyen de compenser auprès des actionnaires une activité en faible croissance ou d’affecter une partie du résultat faute de trouver des opportunités d’investissement intéressantes sur le marché.


Bigben n’a encore une fois pas du tout ce profil-là. C’est une société qui investit énormément (nombreux rachats de studios, investissements importants dans le développement de jeux phares) et qui a mieux à faire que de procéder à un rachat d’action massif.


Derniers problèmes liés à ce rachat d’actions ? Bigben a massivement racheté ses actions entre 10 et 15€. Ces rachats ont fortement soutenu le cours. Or lorsque l’accumulation de mauvaises nouvelles a fait plonger le titre (croissance décevante, profit warnings, fiasco Gollum), Bigben avait déjà en bonne partie épuisé son rachat d’actions. Bigben n’avait plus les moyens de soutenir son action qui s’est écroulé sans ce soutien.


Et maintenant ? Le cours est à 3.16€ après une chute vertigineuse et bien en dessous du cours auquel Bigben a racheté ses actions mais la société a déjà usé toutes ses cartouches. Elle ne rachète plus ses actions alors que le cours est beaucoup plus bas.


- Des déceptions quasi permanentes et un raté monumental

L’autre gros problème c’est les prévisions toujours trop optimistes du management qui se sont retournées contre lui en détruisant la confiance des investisseurs pourtant très enthousiastes sur le dossier Nacon.


Après un T1 à -11%, le T2 est en fait pire puisqu’il ressort à -19.5%. Comme au T1, le management réitère sa confiance dans l’exercice et dans l’exercice suivant. Le marché n’est déjà plus dupe puisque la publication est accueillie avec un -7.5%. Peu après, arrivent les premières annonces de décalages de 4 jeux qui amènent inévitablement à un profit warning en règle. L’exercice est finalement à 155.9 ME, -12.3%.


Toujours très optimiste pour 22/23, Nacon va pourtant encore plus décevoir le marché. Dès le début de l’exercice, c’est le bas de la fourchette communiqué qui y visé (250/300 ME). Ces objectifs déjà abaissés en début d’exercice sont purement est simplement abandonnés, le groupe visant simplement un exercice en croissance. De 300 ME un temps évoqué, les objectifs sont maintenant autour de 160 ME, soit une diminution par 2 !


Pire, il semble désormais assez clair qu’il y a un gros souci sur le jeu phare Gollum, celui-là même qui était censé faire passer Nacon dans une autre dimension. Le jeu est repoussé à 2023 après la sortie de contenus vidéos désastreux.



Le jeu sortira finalement avec près de 9 mois de retard pour le succès que l’on connait, puisque Gollum restera comme le pire jeu de l’année. En voulant boxer dans la catégorie supérieure, Nacon s’est brulé les ailes (le studio éditant majoritairement des jeux AA alors que Gollum était un jeu AAA généralement édité par des studios de premiers plan).


Une nouvelle fois à mon sens, c’est un problème de surconfiance du management qui a misé gros sur un studio chancelant et auteur de plusieurs flops.

Bigben a racheté beaucoup de studios mais Daedalic était sa plus grosse acquisition avec un achat à 53 ME. Or Daedalic était un studio en difficulté. Déjà en 2020, des articles font mention des graves difficultés rencontrées par le studio. Le jeu A Year of Rain fait un flop avec l’arrêt des développements associés peu de temps après sa sortie. Le propriétaire du studio faisait également mention « d’un business modèle qui n’est pas rentable ».


IV - Qu’en est-il aujourd’hui ?


De l’un des dossiers les plus sexy sur la place Parisienne, Nacon est passé au statut de paria dont plus personne ne veut. En étant constamment trop optimiste dans ses prévisions, le groupe a complétement perdu la confiance du marché avec une série de profit warnings.


L’argent de l’IPO a été principalement mis dans un studio chancelant dont l’échec va peser sur la crédibilité du groupe tout en étant un fardeau puisqu’il faut aujourd’hui restructurer Daedalic.


En outre, Bigben a envoyé les mauvais signaux au marché en procédant à un rachat d’actions dispendieux à un timing catastrophique. Bigben a donc tout raté ou presque depuis l’IPO de Nacon.


La situation fondamentale de Nacon s’est dégradée elle aussi, sans être toutefois très préoccupante à l’heure actuelle. Les derniers résultats annuels ont fait ressortir un bénéfice de 12.8 ME chez Nacon, en hausse de 28% sur l’exercice. Les disponibilités en capital se sont amenuisées passant de 82.1 ME à 47.6 ME tandis que l’endettement net lui passé de 10.4 ME à 67.3 ME.

Tout n’est toutefois pas aussi catastrophique que l’évolution du cours de bourse ne le laisse croire. La situation financière s’est détériorée mais reste viable, surtout que la société n’a pas fait de pertes jusque-là.


Les exercices à venir sont toujours attendus en nette croissance avec pas moins de 53 jeux en cours de développement.





Enfin, il ne faut pas occulter les facteurs externes : Le secteur du jeu vidéo, comme beaucoup de secteurs star pendant le covid s’est retrouvé délaissé et boudé par les investisseurs. Sur la place Française, Ubisoft ou Focus Home ont aussi eu leurs difficultés avec un cours de bourse fortement chahuté. Pour Ubisoft, l’un des plus grand du secteur Européen, on parle quand même d’une baisse de -80% du cours entre 2021 et 2023 avec un bas de cycle plus marqué et des pertes record en 2022.


Chez Nacon comme chez Ubisoft, les managements avaient sans doute un peu oublié la cyclicité de leurs marchés et sous-estimé l’impact favorable du covid en se montrant trop confiants auprès des investisseurs après de belles sorties.


Chez Ubisoft, le cours a déjà repris +60% depuis ses plus bas, en anticipation d’un calendrier de sorties riche, porté par de nouveaux opus sur des licences phares. Chez Nacon, le marché n’anticipe pas pour l’instant cette hausse de l’activité promise par le management et anticipée par les analystes. Une question de temps ? Sans doute. Il faut dire qu’ici plus qu’ailleurs, chat échaudé craint l’eau froide. Nacon devra prouver sa capacité à délivrer. Certains titres comme Robocop pourraient l’y aider.


En parlant d’Ubisoft, il est à noter que le premier actionnaire de Bigben se nomme … Bolloré, qui semble toujours très intéressé par le secteur du jeu vidéo. Un groupe comme Bolloré au capital c’est un soutien de poids pour Bigben.


La famille Bolloré est d’ailleurs activement investie sur le dossier puisque Sébastien Bolloré est un des principaux minoritaires au capital de Bigben et de Nacon dont il achète régulièrement des actions sur le marché.


La restructuration chez Daedalic pourrait certainement peser à court terme. Quel sera le poids de Daedalic ? Bigben parviendra-t-elle à tirer à nouveau quelque chose de positif de ce studio ?

L’ombre de Gollum planera encore un peu sur Nacon.


Mais à 10x les bénéfices 2023 et 5x les bénéfices attendus sur le prochain exercice, le risque s’est considérablement réduit sur ce dossier.


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