Derichebourg a fait beaucoup parler (en bien) ces deux dernières années. Les activités dans les métaux ont pleinement profité du super-cycle des matières premières sur les marchés poussant les cours de l’action sur des plus hauts de 15 ans. Le cours de l’action a été multiplié par 5 en à peine plus d’an. Dans le même temps, Derichebourg a mis la main sur son principal concurrent, Ecore (1.2 Mds de CA tout de même). Mais 2022 est arrivé, amenant de gros nuages noirs sur les marchés. Les matières premières ont subi des corrections importantes stoppant par la même le magnifique parcours de l’action Derichebourg. Mais cette seule raison ne suffit pas à expliquer la correction de 54% du cours depuis ses plus hauts. Ce qui a interpelé le marché, c’est cette augmentation de participation non-négligeable au capital d’Elior. Derichebourg, déjà actionnaire minoritaire d’Elior à hauteur de 4.9% du capital avant cette opération a racheté des parts à deux importants actionnaires d’Elior pour porter sa participation à 19.6%. Derichebourg est désormais le premier actionnaire d’Elior. Le moins que l’on puisse dire, c’est que le marché n’a pas plébiscité cette nouvelle. Il ne semble d’une part pas comprendre l’orientation stratégique prise par Derichebourg de s’engager davantage vers un business en très grande difficulté, à peine remis du covid et sévèrement plombé par l’inflation. Et il s’est étouffé en voyant le prix que Derichebourg a payé pour son opération : 5.65€ par action (sans compter les éventuels bonus !), soit une prime de 162% au cours actuel d’Elior ! La majorité de la baisse de l’action est d’ailleurs intervenue APRES la publication de cette opération. Alors, Derichebourde majeure ou diversification stratégique sur le long terme pour un groupe aux activités déjà multiples ? Nous allons tenter de tirer ça au clair et savoir quel est le juste prix de l’action Derichebourg aujourd’hui.
CONTEXTE :
Groupe familial, le groupe Derichebourg commence son histoire en 1956 avec la Compagnie Française des Ferrailles. La société ne perd pas de temps et s’introduit en bourse dès 1963. De la récupération des déchets et ferrailles des particuliers, l’entreprise passe au marché des entreprises et accélère du même coup son développement dans un marché en plein essor. Derichebourg grandit vite, en 1995 le chiffre d’affaires est déjà de 6 Milliards de Francs. La fin des années 1990 est toutefois plus délicate, le groupe entame une série de restructuration et son cours dévisse : De 195€ en mai 1998 à 3€ en mai 2002. La bulle des Dotcom mais en pire.
Le groupe prend officiellement son nom actuel de Derichebourg en 2007 lors de l’acquisition de Penauille Multiservices. Le groupe se diversifie en ajoutant des activités dans les services aéroportuaires, la sécurité, la propreté et d’autres services aux entreprises. Le groupe récupère ainsi 50.000 salariés et même un club de rugby, le club de Brive avec cette acquisition ! En difficulté suite au rachat d’une filiale aéroportuaire de Lufthansa, Penauille, endetté et englué dans des problèmes financiers accepte de se vendre à Derichebourg via une OPA amicale. Des similitudes avec l’actualité récente du groupe Derichebourg ? Il n’est pas inconcevable de voir les choses sous cet angle. On y reviendra plus loin.
Les années suivantes sont marquées par les cessions : Le club de Brive est rapidement vendu en 2009. En 2013 ce sont les activités aéroportuaires héritées de Penauille qui sont à leur tour cédées (celles-ci représentaient tout de même un CA de 700 M€). Derichebourg a reculé pour mieux sauter. Le groupe reprends rapidement ses acquisitions : de petites acquisitions, SLG Recycling en 2016 (85 M€ de CA), puis vient celle d’Ecore en 2021. Derichebourg mets la main sur un concurrent majeur dans le recyclage des métaux (acier, aluminium, cuivre) et ajoute ses 1.2 Milliards de CA à ses 2.5 Mds. Cette acquisition majeure est logiquement saluée par le marché. Derichebourg finit l’année 2021 en trombe, publiant un résultat en décembre un résultat annuel multiplié par 8 ! Le train Derichebourg fonce à pleine vitesse et rien ne semble capable de l’arrêter. Rien, vraiment ?
Nous voilà donc en 2022. Après des hausses spectaculaires en 2021, beaucoup d’actions liées aux matières premières marquent des tops en janvier (Arcelor Mittal, Jacquet Métals). D’autres le feront un peu plus tard comme Eramet qui poursuit son rush haussier jusqu’à fin mars. Derichebourg, dont l’activité principale dépend du recyclage des métaux a par définition une activité très cyclique : les recycleurs comme Derichebourg profitent pleinement d’une économie dynamique mais ceux-ci en pâtissent lorsque la conjoncture économique se retourne. Il n’y a rien de très étonnant donc à voir Derichebourg corriger en même temps que les indices et les valeurs cataloguées matières premières. Le groupe voit sa capitalisation boursière fondre de 40% entre ses plus hauts et le point bas de l’invasion Russe en Ukraine. Le cours se reprends toutefois très bien ensuite avec un puissant rebond de 40% qui efface une bonne partie des pertes de l’année.
La prochaine étape nous amène donc à Elior. Derichebourg qui a déjà une participation minoritaire de moins de 5% dans Elior annonce monter à 19.6% du capital. Résultat ? Le marché n’apprécie pas, mais alors pas du tout et sanctionne l’action d’une baisse de 14% en une journée (et 39% de baisse entre le cours au moment de l’annonce et les plus bas du cours depuis). Les actionnaires ne comprennent pas. Ils ne comprennent pas cette (grosse) prise de participation dans un acteur déjà malmené par le covid et complétement mis à bas par l’inflation : le cours d’Elior a dévissé de 85% entre son cours de février 2020 (13.40€) et celui de juillet 2022 (2.15€). Les actionnaires ne comprennent donc pas ce que Derichebourg va faire dans ce pétrin sans nom dans lequel Elior est embourbé. Mais ils se sont également étranglés en voyant le prix payé par Derichebourg : 5.65€ par action (+ bonus éventuel de 1.35€). Cela représente une prime de 163% (sans les bonus) au cours actuel d’Elior. C’est très, très cher payé. Au total un peu plus de 142 Millions d’euros. Ce n’est toutefois pas énorme par rapport au CA du groupe. Les questions demeurent malgré tout : Que cherche à faire Derichebourg ? Daniel Derichebourg a-t-il une idée derrière la tête ?
Avant d’aller plus loin, il y a plusieurs points à garder à l’esprit.
Premièrement, Derichebourg de par son activité de recyclage dans les métaux est très affecté par les cycles. Le pôle multiservices s’inscrit dans cette idée de diversification, afin de réduire l’impact des bas de cycles dans les résultats. Ce pôle n’est toutefois pas majoritaire loin de là (24% du CA) et l’intégration d’Ecore et ses 1.2 Mds de CA vient fortement réduire le poids de cette activité multiservices. Si Derichebourg cherche à se rediversifier, Elior et ses activités peut-être une option intéressante. L’activité d’Elior est également plutôt en adéquation avec l’activité multiservices de Derichebourg qui s’articule autour d’une galaxie de services proposés aux entreprises (nettoyage, intérim, logistique …).
Autre point à garder à l’esprit : Derichebourg a clairement indiqué qu’il ‘ne déposerait pas d’offre publique sur le solde d’Elior’. Pas d’OPA à court terme donc puisque Derichebourg ne peut pas se dédire dans les 6 mois. Mais alors dans ce cas pourquoi cette grosse prise de participation ? Les liens entre Elior et Derichebourg sont très bons, mais un grand groupe comme Derichebourg et surtout une entité cotée n’agit pas par pure charité.
La clé pour comprendre ce dossier est selon-moi à chercher en 2007. Il y-a en effet des similitudes très fortes avec la situation de Penaille Polyservices, acquit par Derichebourg en 2007 suite à une OPA amicale. Une similitude de business d’abord : Elior propose des services de restauration collective dans les entreprises, établissements scolaires, maisons de retraites mais également un pôle multiservices associé. La similitude dans la situation est encore plus proche : Comme Penauille Polyservices, Elior est une entreprise endettée et malmenée, un groupe en grande difficulté dont la survie même est en jeu. Pour Penauille, l’opération s’était conclue en OPA amicale lorsque Penauille n’avait eu d’autre choix que de se vendre pour survivre. A l’époque, les liens entre les PDG étaient très bons : « ces deux hommes lorsqu'ils ont présenté leur opération ont indiqué qu'il s'agissait d'abord d'une histoire d'hommes, insistant sur leur volonté de travailler ensemble ». Les liens entre les PDG d’Elior et Derichebourg sont également très bons, les deux hommes se connaissent et s’apprécient. Elior serait-il tenté de suivre le chemin de Penauille, en se vendant pour survivre ? Tentons de voir quels scénarios pourraient émerger lors des prochains mois.
Scénario numéro 1 : Après la tempête, Elior est capable de se redresser. Derichebourg profite de l’embellie du cours et voit sa position lui offrir un joli gain latent.
Scénario numéro 2 : Elior ne s’en sort pas et ne parvient pas retrouver la rentabilité, malmené par l’inflation. Elior se vend alors à Derichebourg pour se sauver comme Penauille Polyservices l’avait fait il y a 15 ans.
Scénario numéro 3 : Daniel Derichebourg a l’OPA dans un coin de sa tête et entend prendre le contrôle d’Elior quoi qu’il arrive. Vu les bonnes relations entre les deux groupes, il est exclu d’assister à une OPA hostile. Celle-ci devra donc être amicale. Cette prise de participation n’est alors qu’une première étape vers cette finalité.
Vu le contexte, difficile d’imaginer Elior se redresser. Si redressement il-y a, celui-ci sera long et fastidieux. C’est pour cela que je serais tenté de miser donc sur une OPA voulue par Elior dans les prochains mois ou années.
Après avoir longuement abordé le cas Elior, tentons maintenant de voir combien vaut l’action Derichebourg.
RATIOS DE VALORISATION
Les capitaux propres du groupe représentent pratiquement 80% de la capitalisation boursière. Derichebourg se paye à peine 5x ses bénéfices au cours actuel. Le groupe se paye également largement moins cher que les autres acteurs cotés présents sur le secteur de l’environnement.
Ø Derichebourg obtient une note de 17 points légèrement en dessous de la moyenne sur cette catégorie.
DYNAMIQUE ET BILAN
Alors que son chiffre d’affaires avait connu deux années de baisse consécutives en 2019 et 2020, l’intégration d’Ecore a permis à Derichebourg un spectaculaire retour à la croissance. Ses résultats 2021 ont été excellents avec un bénéfice net multiplié par 8 sur la période. 2022 s’annonce également très bien avec un chiffre d’affaires attendu à nouveau en forte hausse alors que le RN devrait être proche des records de 2021. Les années suivantes sont également attendues en hausse pour ce qui est du chiffre d’affaires. Le secteur du recyclage des métaux est certes soumis aux cycles économiques mais il a de beaux jours devant lui. La croissance sectorielle devrait rester forte dans un secteur incontournable. Au niveau du bilan, les dettes sont supérieures aux capitaux propres. Elles sont toutefois à un niveau qui reste très acceptable si on les rapporte au CA. La visibilité de l’activité, très dépendante des cycles et des conditions économiques n’est à l’heure actuelle pas très bonne …
Ø Sur cette deuxième catégorie, Derichebourg décroche une mention bien avec une note de 31 points, assez largement au-dessus de la moyenne.
MACRO
C’est un euphémisme de dire que le contexte actuel est compliqué. L’inflation est à un niveau historique tandis que la récession pourrait pointer le bout de son nez, amenée à marche forcée par l’action des banques centrales.
Ø L’activité cyclique de Derichebourg reste soumise aux conditions économiques. Si celles-ci se ternissent, l’activité en subira les conséquences. Score en dessous de la moyenne donc pour cette catégorie.
ENVIRONNEMENT INTERNE ET EXTERNE
Rien de très notable ici. Pas d’achat ou de ventes notables des dirigeants. La société à été en quelques occasions la cible de position short pour une courte durée.
Ø Derichebourg a tout bon dans cette catégorie avec une note de -1 qui la place dans le premier quart de notation.
MANAGEMENT
Groupe familial, le groupe est géré depuis des années par la famille Derichebourg qui occupe les principales fonctions de direction des entités du groupe. Beaucoup de stabilité donc. En revanche la stratégie du management a été largement questionnée par le marché qui n’a pas du tout aimé la prise de participation dans Elior.
Ø La note de cette catégorie se classe tout juste dans la moyenne.
CATALYSEURS + HISTORIQUE
Rien de très flagrant ici non plus. L’historique du cours a été erratique mais la hausse de l’année passée à malgré tout permis de crée de la valeur pour les actionnaires présents depuis longtemps sur l’action.
Ø Derichebourg ne parvient pas à marquer beaucoup de points sur cette catégorie mais évite d’en perdre.
NOTE FINALE
VALORISATION SECTORIELLE
Derichebourg est plutôt difficile à évaluer avec sa diversification. Son cœur de métier restant le traitement des déchets et le recyclage des métaux, le meilleur comparable de la cote serait donc Séché Environnement qui se paye 0.8x son CA et sur un PER de 15 environ. Également dans les services environnementaux, Véolia se paye 0.55x son CA. Pour Derichebourg, on arrive à seulement 0.25x le CA 2021 (alors que celui de 2022 sera largement en hausse). La moyenne de ces comparables moins une décote pour les activités multiservices (décote appliquée de 25%) fait ressortir une valorisation sectorielle à 9.80€ par action. Cela représenterait une capitalisation d’un peu plus d’1.7 Mds.
JUSTE VALORISATION
Décote / bonus santé financière
A l’issue de ce travail de valorisation intégrant la dynamique du groupe, sa santé financière, ses perspectives de croissance et l’étude de ses comparables; le calcul fait ressortir une juste valorisation du titre à 9.73€. Soit un potentiel de 74.3% au cours actuel.
CONCLUSION
Le cours de bourse actuel du groupe apparait étonnamment faible vu la dynamique commerciale et la faible valorisation face aux comparables. L’acquisition d’Ecore a en outre permis à Derichebourg de considérablement s’agrandir. Il semblerait ici que le marché ait surjoué les craintes de récession sur le titre. Quant à Elior, le marché s’est-il trompé en sanctionnant aussi durement le groupe ? Difficile à dire. Toujours est-il qu’à seulement 5 fois les bénéfices attendus pour 2022 et compte tenu des solides perspectives de croissances du titre, l’action Derichebourg semble présenter un très bon ratio gain/risque pour le futur.
OPINION > ACHAT
Rappel : Ce travail n’est en aucun cas un conseil en investissement. Il vise simplement à produire une analyse d’une société cotée et tente de valoriser celle-ci au vu des éléments analysés.
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