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Décryptage, Casino : Une débâcle entendue de longue date


L’été 2023 aura marqué la fin d’une très lente agonie pour le groupe Casino. C’est surtout une fin des plus abruptes pour celui qui était à sa tête, JC Naouri, architecte financier hors pair, qui rêvait d’un empire à la Vincent Bolloré ou Bernard Arnault. Si l’illusion a longtemps perduré, la chute du château de cartes était actée depuis longtemps déjà.


Depuis quand alors ? Probablement depuis le moment où le short seller, Muddy Waters a fourré son nez dans les affaires de Casino, publiant un rapport à charge sur le groupe, ses pratiques et surtout sa dette. Naouri n’a eu ensuite de peine de se battre sur deux fronts, contre Muddy Waters et contre sa dette, à coup de plans de cessions massifs.


Pendant 3 ans, jusqu’à mi 2019, beaucoup y ont cru, grâce aux milliards des cessions en Asie. Mais le mal était bien plus profond pour Casino, gangrené par une dette qui ne lui reposait pas uniquement dessus, mais qui était aussi sur les holdings au-dessus de lui. Et dès 2019, moment où Rallye (la holding qui possède Casino) doit se mettre en sauvegarde judiciaire, il n’y avait de fait, pratiquement plus d’espoir d’une fin différente de celle que nous connaissons aujourd’hui. La seule surprise peut-être, c’est que cette fin inéluctable ait été repoussée aussi longtemps.


I – La construction express d’un empire international


Après une série de fonctions dans les coulisses politiques, JC Naouri lance une carrière fulgurante en tant que businessman. Il crée d’abord le fond Euris, qui prospère rapidement grâce à plusieurs bonnes participations financières. Il prend des participations dans des groupes en difficulté avec des options pour en prendre le contrôle ultérieurement. En empilant les structures, il peut jouer sur l’effet de levier et l’endettement des sociétés déjà sous sa coupe et ainsi financer ses futures acquisitions. Il rachète ainsi Rallye puis devient seulement un an après le premier actionnaire de Casino en 1992.


Toujours soutenu par les banques, il rachètera ensuite les enseignes Monoprix, Leader Price, Franprix. Enfin, il développera à l’instar de Carrefour ses affaires en Amérique du Sud et en Asie avec une prédilection pour le Brésil. En même temps, il implantera Casino en Colombie, en Thaïlande et au Vietnam, créant un véritable empire autour du distributeur Stéphanois.


A partir de 2005, Naouri va utiliser une ingénierie financière sophistiquée et créative, pour extérioriser la valeur de ses actifs immobiliers et ainsi trouver le cash dont il a besoin pour continuer son appétit de conquêtes.

Le groupe avait toutefois réussi un remarquable développement à l’étranger où il cherchait à être le leader de marchés locaux en forte croissance eu égard à la démographie des zones géographiques choisies :

  • En Amérique du Sud : GPA (Grupo Pao de Azucar), Pontofrio, Casas Bahia au Brésil, Exito en Colombie, Disco en Uruguay, Libertad en Argentine ;

  • En Asie du Sud-Est : Big C en Thaïlande et au Vietnam ;


II – 2015, annus horribilis : le masque tombe


Au milieu des années 2010, Casino est à son apogée avec une place de choix dans le monde de la grande distribution Française et un développement international réussi, que beaucoup lui envient. Mais en 2015, une série d’événements vont venir bousculer le groupe et provoquer une réaction en chaine qui conduit à la situation actuelle.


Début 2015, les ennuis commencent. Casino est pénalisé au T1 par la crise brésilienne. Le Brésil, c’est le 1er marché du groupe avec 43% du CA. Les ventes de non alimentaire reculent au Brésil, elles sont très touchées par la crise économique qui frappe le pays et sont passées dans le rouge.


La publication de l’étude de Muddy Waters vient rajouter une deuxième couche en décembre 2015. Le cours baisse de 25% (il remontera par la suite) mais sape la confiance de beaucoup d’investisseurs et amène les parties prenantes ayant des intérêts dans Casino à se poser des questions.


A partir de là, il y a une réelle prise de conscience sur la dette. Des dégradations des agences de notation s’en suivent immanquablement : Standard & Poor’s semble avoir pris au sérieux l’alerte de Muddy Waters, dégradant Casino. Largement assez pour que ses dettes tombent dans la catégorie junk bonds, avec des conséquences négatives pour les prêteurs, un renchérissement du coût de sa dette pour Casino.


Ce mauvais enchainement a contribué à la baisse des cours a directement affecté le groupe : Avec cette baisse des cours, les actifs de Rallye (essentiellement des actions Casino), valaient désormais moins que sa dette. Or une bonne partie des prêts étaient gagés sur des actions Casino, fragilisant considérablement l’édifice. Avec un cours divisé par 3, par 4, le poids de la dette explose pour Rallye.


Évolution du cours de Casino : Juillet 2014 = 97€ ; Fin 2015 = 42€ ; Septembre 2018 = 26€


III – Une stratégie très vite contrainte


De fait, très vite la stratégie du groupe est contrainte. Dès début 2016, il doit engager immédiatement des cessions d’actifs pour rassurer les marchés et les banquiers sur sa dette.

Les cessions doivent être rapides et peu importe si elles sont dans les marchés les plus porteurs. Il faut rassurer rapidement pour déjà, éviter que la pyramide de montages financiers ne soit ébranlée.

Il y d’abord un plan de cession fin 2015 de plus de 2 milliards d'euros mais qui passe vite à plus de 4 Milliards avec la cession de la filiale asiatique Big C Thaïlande.


Avant l'attaque de Muddy Waters, Casino n'envisageait d'ailleurs que l'entrée d'investisseurs dans le capital de ses centres commerciaux en Thaïlande et non une cession pure et simple de Big C. Pendant longtemps, c'était l'une des fiertés de Casino à l'international.


Avec ces 4.2 milliards de cession en Asie, le problème de dette de Casino est réglé, pour un temps. Mais celui de Rallye ne l’est pas (JC Naouri avait placé une partie non négligeable de cette dette sur Rallye). Et c’est bien Rallye qui va cristalliser tous les problèmes et devoir se placer en sauvegarde début 2019. Dès lors, tout est déjà fini pour Casino.


IV – Une grande braderie en guise de sursis


Pour faire face aux créanciers de Rallye et tenter de sauver ce qui peut l’être, JC Naouri et Casino n’ont d’autres choix que de s’engager sur un nouveau plan massif de cessions d’actifs pour rassurer les créanciers et s’entendre avec ces derniers. Mais ne vous y trompez pas, la situation est déjà belle et bien scellée à ce moment-là malgré le vaste plan de cession engagé.


Il y a 2 raisons à cela. La première c’est que la dette est élevée : fin 2018, Casino à 3.7 milliards de dettes + 2.9 milliards pour Rallye. Sans parler des quelques centaines de millions répartis sur d’autres holdings. La deuxième c’est que Casino va de moins en moins bien. Le groupe perd des parts de marché en France, subit le poids de sa dette tandis que les montages financiers de JC Naouri pour gonfler les résultats ont touché leurs limites.


Pour que le plan ait eu la moindre chance de réussir, il aurait fallu que Casino dégage des bénéfices. Or c’est tout l’inverse, Casino enchaîne les déconvenues avec une situation qui ne cesse de se détériorer sur le plan opérationnel et un cout de l’endettement qui explose un peu plus chaque année.

En fait, le plan de cession, n’a qu’une utilité, gagner du temps. Les cessions sur la période ne font qu’éponger les pertes du groupe. 4 Milliards de cession vs 3.1 milliards de pertes pour Casino.









Si l’issue de la situation ne faisait plus de doute, la dernière phase de l’agonie de Casino a commencé fin 2022. La très grande majorité des cessions réalisées avant cela étaient non essentielles (Mercialys, murs, immobilier, cessions diverses) avec l’objectif de « concentrer son développement sur les segments porteurs, adaptés aux mutations du marché : l'e-commerce, le premium et la proximité, les géographies porteuses (Brésil et Amérique latine) ».


Or, avec la cession de Green Yellow puis des participations en Amérique du Sud, il était très clair que ces dernières cessions ne répondaient plus du tout à l’objectif initial, mais davantage à une dernière tentative désespérée de gagner encore un peu de temps.


Il faut bien voir que les cessions dans Pao de Açuca par exemple, n’avaient absolument aucun sens stratégiquement, elles tiraient la croissance et généraient des profits !

C’était donc la fin de la fin. L’ultime signe ? Quand tous les vautours ont commencé à tourner autour du dossier début 2023. Teract, instrument de la coopérative InVivo fut le premier d’une très longue liste qui n’a fait que s’allonger au fil des mois (Les Mousquetaires, Kretinsky, Pigasse, Niel, Zouari …). Il ne faisait alors plus aucun doute pour personne que JC Naouri allait bel et bien perdre le contrôle de Casino après quasiment 30 ans d’un règne qui se termine en déconfiture totale.

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