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Kering : Une décote qui interpelle

Dernière mise à jour : 19 févr. 2023



Tous les investisseurs connaissent Kering, de même qu’une immense majorité du grand public à travers ses marques iconiques. Difficile d’imaginer pourtant qu’il y a de cela une quinzaine d’années seulement, le groupe n’avait rien d’un géant du luxe. Il ne réalisait que 17% de son chiffre d’affaires dans le luxe en 2008.


Aujourd’hui les choses sont bien différentes, Kering souffre en bourse de sa dépendance à Gucci et à la Chine, qui se traduisent par des multiples de valorisation au rabais comparé aux autres grands du secteur. Tentons de voir si ces craintes sont justifiées et revenons sur cette transformation rapide et spectaculaire du groupe.


I – Historique de la création du groupe

Bref retour sur l’historique de ce grand groupe à travers quelques dates clés :


1988 : Le Groupe Pinault entre en Bourse. Après l’acquisition du Printemps et la prise de participation au capital de La Redoute, il deviendra Pinault Printemps Redoute en 1994 et se renommera PPR en 2005


1999 : PPR entame la constitution d’un groupe de Luxe grâce à une prise de participation de 42 % dans Gucci Group


1999 : Acquisition de la célèbre Maison française Yves Saint Laurent


2001 : Acquisition de la Maison iconique Balenciaga


2005 : Succédant à Serge Weinberg, François-Henri Pinault devient Président-Directeur général de PPR, qu’il transformera en un groupe mondial de Luxe en cédant progressivement les autres activités du groupe et en acquérant des Maisons emblématiques


2013 : PPR devient Kering, achevant sa mue vers le luxe


II – Un recentrage complet, laborieux mais visionnaire


Quiconque regarde Kering aujourd’hui aurait bien du mal à reconnaitre le groupe au milieu des années 2000. A l’époque, Kering était un géant de la distribution avec des enseignes phares comme les magasins Printemps, la Redoute, la Fnac ou encore Conforama.


En 2008, alors que plusieurs cessions d’envergures dans la distribution ont déjà été réalisées, le Groupe ne réalisait que 17 % de son chiffre d'affaires dans le Luxe ; aujourd’hui, c’est l’intégralité. Au terme de plusieurs années de transformation, Kering a accompli sa mutation en pure player du Luxe.


C’est à partir de 2005 que PPR a entrepris une profonde transformation. Le Groupe est progressivement sorti du secteur de la distribution jusqu’en 2013. D’un conglomérat centré sur des activités de distribution essentiellement européennes, PPR est devenu en quelques années un groupe cohérent, intégré et international, concentré désormais sur un métier unique : l’habillement et les accessoires, à travers des marques de Luxe et de Sport & Lifestyle.


PPR annonce une première cession d’envergure, celle de Rexel en 2005. PPR cède sa participation de 73.45% à un consortium d’investisseurs pour une valeur d’entreprise de 3.7 milliards d’euros. Rexel est sortie de la cote tandis que le futur groupe de François Pinault en ressort grandement désendetté.




Le recentrage continue en 2006 avec la cession pour un milliard d'euros des grands magasins emblématiques Le Printemps à l'homme d'affaires italien Maurizio Borletti associé à la banque allemande Deutsche Bank. La branche grands magasins de PPR, avec un chiffre d'affaires de 752 millions d'euros, ne pesait plus que 4,2 % du groupe.



En 2011, c’est Conforama qui est vendu au Sud-Africain Steinhoff International pour 1.2 milliards d’euros plus la dette due par Conforama.


Faute d’avoir pu trouver un acquéreur pour la Fnac, Kering décide de la distribuer à ses actionnaires en l’introduisant en bourse en 2013.


La distribution d’une action Fnac pour 8 actions Kering détenue donne le même actionnariat que celui de Kering avec Artemis, la holding de la famille Pinault à 40.8% du capital. L’IPO ne rapporte rien à Kering si ce n’est que le cours s’apprécie de 30% entre l’annonce de la distribution et l’IPO. Elle lui permet surtout de se débarrasser d’un actif dont les ventes sont en baisse et la rentabilité en chute libre. Pas dans les priorités du groupe, la participation restante de 24.33% est finalement cédée à l’Allemand Ceconomy (Metro group) en 2017 pour 452 millions d’euros.


La cession de la Redoute intervient un an plus tard mais que se fut compliqué ! Sept années ont été nécessaires au groupe Kering pour se séparer de son pôle de distribution pour 1€ symbolique et se recentrer sur le luxe et l’habillement sportif. Céder La Redoute aura coûté plusieurs centaines de millions d’euros à Kering. Avant la cession, le chiffre d'affaires de La Redoute baissait en effet de 10% par an depuis 2010 pour se situer autour de 1 milliard d'euros. La société perdait plusieurs dizaines de millions d'euros chaque année.


Ce recentrage profond du groupe aura entraîné une baisse de CA largement compensée par une hausse graduelle et spectaculaire de sa rentabilité. Si Kering aura mis 14 ans à renouer avec son chiffre d’affaires historique à plus de 20 MDS, sa rentabilité à entre-temps été multipliée par 4. Si on prend le groupe PPR avant son recentrage, la rentabilité du groupe est aujourd’hui 8x supérieure.


CA 2005 : 17.76 MDS ; Bénéfice net : 539 ME


CA 2008 : 20.2 MDS ; bénéfice net : 924 ME


CA 2013 : 9.748 MDS ; bénéfice net : 1.229 MDS


CA 2022 (estimé) : 20.480 MDS ; Bénéfice net (estimé) : 3.843 MDS


III – Kering aujourd’hui : une dépendance à Gucci qui inquiète les investisseurs


Kering a réalisé un chiffre d'affaires de 17,6 milliards d'euros en 2021, en hausse de 13% par rapport à son niveau pré-Covid. Gucci a contribué à 55% de ces revenus, bien plus que les autres marques de luxe du groupe, parmi lesquelles figurent Balenciaga et Bottega Veneta. La contribution aux bénéfices atteint même 80% du résultat.

On comprend assez vite pourquoi le ralentissement de la croissance de Gucci met la pression sur le groupe qui cherche à diversifier ses sources de revenus. Les récents confinements en Chine où Gucci est relativement exposé, ont davantage mis en lumière la vulnérabilité du groupe.


"La décote de 25% en valeur d'entreprise versus pairs est alimentée par la trop forte dépendance à Gucci (55% du chiffre d'affaires et 74% du résultat opérationnel courant), la sous-exposition en Amérique du Nord (27% du chiffre d'affaires 2021) et, les incertitudes liées à la Chine (30% du chiffre d'affaires) dont la moitié des ventes de Gucci réalisées en Asie-Pacifique".


Kering prévoit de doubler les revenus de la maison de mode Yves Saint Laurent et de quasiment tripler ceux de Kering Eyewear, un moyen pour le groupe de luxe français de réduire sa dépendance à l'égard de sa marque vedette Gucci.


Pour soutenir la croissance d'Yves Saint Laurent, sa deuxième plus grande marque, Kering a indiqué aux investisseurs qu'il déploierait de nouveaux magasins, notamment aux Etats-Unis, afin d'atteindre de nouveaux clients. Le groupe compte augmenter le nombre de boutiques YSL, qui passeront de 267 aujourd'hui à 300 à 350 à moyen terme.


L'ouverture de nouveaux magasins aidera la marque à rééquilibrer ses ventes en faveur d'une clientèle locale plutôt que de compter sur les touristes.

La lunetterie est une autre activité qui, selon Kering, devrait connaître une croissance rapide. Le groupe a acquis en 2021 le fabricant danois Lindberg A/S, et a annoncé en mars dernier son intention d'acheter la marque américaine Maui Jim.

Le chiffre d'affaires d'Yves Saint Laurent devrait atteindre 5 milliards d'euros et celui de la division lunettes 2 milliards d'euros à moyen terme. Pas suffisant toutefois pour rééquilibrer le groupe.


Le président-directeur général de Kering, François-Henri Pinault, a affirmé à plusieurs reprises qu'il souhaitait renforcer son entreprise par le biais d'acquisitions mais peu de marques attrayantes, voire aucune, capables de transformer le groupe, semblent se présenter sur le marché.


Le rachat de Tom Ford sonnait comme une formidable opportunité pour Kering de muscler son portefeuille de marques dans son cœur de métier de la mode et la maroquinerie.


Kering qui disposait d'une trésorerie de 5,8 milliards d'euros à la fin du premier semestre pouvait aisément s’offrir le rachat de Tom Ford mais c'est finalement Estée Lauder qui a raflé la mise. Le géant américain des cosmétiques a annoncé le rachat de Tom Ford sur la base d'une valeur d'entreprise de 2,8 milliards de dollars. Il semblerait que Francois-Henri Pinault ait failli surenchérir pour acquérir la marque américaine avant de renoncer devant le prix jugé excessif, finalement payé 2,32 milliards d’euros par Estée Lauder.


Même s’il a laissé passer cette piste intéressante, Kering étudie d’autres options.

TP Icap Midcap mentionne un rapprochement entre Richemont et Kering, deux entreprises qui, selon le bureau d'études "pourraient se compléter avantageusement". "La combinaison créerait un avantage d'échelle significatif et réduirait l'écart avec LVMH"


D’autre part, les marques de prestige ne manquent pas sur le marché, y compris des françaises (Poiray, Longchamp, Carven, Montagut, Vicomte A). Pour accompagner leur développement, celles-ci pourraient être tentées de tomber, pourquoi pas, un jour dans l’escarcelle de Kering.


Et enfin, il y a les parfums. Kering ne serait pas du tout satisfait des ventes réalisées actuellement en parfums par ses deux principales marques, Yves Saint-Laurent et Gucci. Si Yves Saint-Laurent, cédée en 2008 à L’Oréal pour un milliard d’euros, n’est pas récupérable pour l’instant, il n’en est pas de même pour Gucci exploité modestement par Procter & Gamble.


Nombre d‘observateurs estiment possible pour Kering de pouvoir racheter d’ici 2O25 les parfums Gucci pour les exploiter et les développer en propre. Ainsi la branche parfums pourrait aussi s’essayer à exploiter en son sein d’autres marques extérieures, comme le fait avec talent le groupe français Interparfums qui exploite déjà la marque Boucheron pour le groupe Pinault et d’autres licences comme Lanvin ou Lacoste.


Conclusion :


Les pistes pour Kering sont donc nombreuses et le groupe pourrait donc rapidement faire des pas dans ce sens. Dans le même temps, au vu du graphique ci-dessous, les problématiques de croissance de Gucci apparaissent bien relatives. Il ne faudrait pas occulter non plus que, malgré une forte exposition à une Chine confinée depuis deux ans, Kering va publier des résultats historiques et en forte augmentation chaque année.

Dans un secteur du luxe ou il n’est pas aberrant pour beaucoup d’investisseurs de payer Hermès ou Estée Lauder à plus de 50x les bénéfices, Prada ou L’Oréal 35x les bénéfices ; serait-il normal de voir Kering valorisé 3x moins bien que les 2 premières et 2x moins que les secondes ? A mon sens, la réponse est un grand NON.


EXERCICE DE VALORISATION


Cet exercice de valorisation se composera de plusieurs parties qui viseront à étudier et noter chaque composante du business. La note finale impactera 3 types de valorisation : Base, croissance et sectorielle, qui ensemble donneront une JUSTE VALORISATION du titre.


SOMMAIRE :


1 Ratios de valorisation

2 Dynamique et bilan

3 Macro

4 Environnement internet et externe

5 Management

6 Catalyseurs & Historique

7 Valorisation sectorielle


RATIOS DE VALORISATION

Les capitaux propres du groupe représentent environ 20% de sa capitalisation actuelle. Un ratio plutôt faible comparé à d’autres secteurs mais plus élevé que ce que l’on retrouve habituellement dans le luxe. Il y a de cela quelques mois, on pouvait avoir du Kering à un PER de moins de 15. La remontée des cours donne un PER actuel de 19, plutôt bon marché pour le luxe mais dans la fourchette haute de la cote Parisienne tous secteurs confondus. L’écart de multiples de valorisation avec LVMH est déjà conséquent mais plutôt justifié compte tenu des problématiques que rencontre Kering (PER de 28 pour LVMH). Il est en revanche plus étonnant de voir à un PER de 19 pour Kering quand on voit L’Oréal sur un multiple de 35x les bénéfices ou Hermès à plus de 50. De même, Kering s’est assez rarement payé sous un multiple de 20x les bénéfices comme c’est le cas actuellement. Quantifier un MOAT (à savoir un rempart concurrentiel) est toujours compliqué, mais dans le cas de Kering, certaines de ses marques sont suffisamment puissantes pour assurer un avantage sur le long terme. N’est pas Gucci qui veut.


DYNAMIQUE ET BILAN


La dynamique commerciale du groupe est remarquable quoiqu’un peu erratique, avec une baisse logique liée au covid en 2020 mais également une nette baisse des ventes en 2018 liées à la cession de Puma.


Le rebond post covid a été spectaculaire en 2021 : +30% sur les ventes et un résultat en hausse de 50%. 2022 qui sera publiée prochainement devrait également être un bon cru avec des ventes en hausse de plus de 15% et un bénéfice qui pourrait croitre de 20%.


Pour 2023, ces hausses devraient toutefois ralentir mais maintenir malgré tout une belle dynamique sur les prochains exercices. L’endettement est maîtrisé (0.2x le CA) et laisse toute latitude au groupe pour être agressif sur sa stratégie d’acquisition. La visibilité sur le secteur du luxe en général est excellente et d’autant plus depuis la réouverture de la Chine. Mais Kering paie ici avec cette note neutre, sa très forte dépendance à Gucci, qui en cas de ralentissement pénaliserait immédiatement et sévèrement le groupe. Enfin, le taux de marge est très bon et tend à s’améliorer sur le long terme.


MACRO

Nul doute que Kering a du accueillir la réouverture de la Chine avec un certain soulagement. L’environnement économique global tend toutefois à se dégrader. La politique restrictive des banques centrales dont les premiers signes commencent à poindre, pourrait devenir plus visible dans les mois à venir. Le luxe ne devrait pas être le secteur le plus touché mais pourrait tout de même en souffrir un peu. Aucun souci à se faire pour Kering au niveau du pricing power.


ENVIRONNEMENT INTERNE ET EXTERNE

Quelques petits achats d’insider en septembre sur le creux de marché mais vraiment négligeables compte tenu de la capitalisation de Kering (200 actions achetées pour un peu plus de 100.000€). Kering était encore récemment shortée par un fond en VAD qui est toutefois repassé sous les 0.5%.


MANAGEMENT

Comme évoqué plus haut, la transformation du groupe et sa mue en pure player du groupe ont été spectaculaires. Le succès de Gucci a été tel que la marque est aujourd’hui ultra dominante dans le portefeuille de Kering et lui pose un problème. Le groupe cherche en effet à rééquilibrer son offre en réduisant le poids de Gucci.


CATALYSEURS + HISTORIQUE

A moyen terme, la réouverture Chinoise me semble être un catalyseur fort pour un groupe qui réalise près de 40% de ses ventes dans la zone Asie-Pacifique. Le rebond de consommation en Europe ou aux USA été spectaculaire alors on peut raisonnablement spéculer sur un phénomène identique voir amplifié dans un pays ou les confinements ont été beaucoup plus longs et plus stricts.

L’historique de cours est lui tout à fait exemplaire malgré la relative sous performance comparée au secteur ces 2 dernières années.


NOTE FINALE


VALORISATION SECTORIELLE

Kering se paye actuellement sur une base de 3.4x son chiffre d’affaires. C’est bien moins que LVMH (5.1x le CA) ; l’Oréal (5.4x le CA) ou Hermès (15.7x le CA). Aussi, une valorisation sectorielle basée sur un multiple de 5x le chiffre d’affaires apparait plutôt conservatrice et prudente.


JUSTE VALORISATION




A l’issue de ce travail de valorisation intégrant la dynamique du groupe, sa santé financière, ses perspectives de croissance et l’étude de ses comparables ; le calcul fait ressortir une juste valorisation du titre à 856.38€. Soit un potentiel de 43.10% lors de l’analyse (598.60€).


CONCLUSION

La décote appliquée à Kering sur les craintes liées à un ralentissement de la croissance de Gucci apparait comme justifiée. Ce qui ne l’est pas, c’est son ampleur. Il n’apparait absolument pas cohérent de payer Kering pratiquement 2x moins cher que l’Oréal ou 3x moins cher que Hermès (19x les bénéfices 2023 pour Kering ; 35x pour l’Oréal ; 55x les bénéfices pour Hermès).


Si les valorisations de L’Oréal ou Hermès me paraissent plutôt excessives, celle de Kering me semble toujours basse compte tenu de plusieurs éléments : Premièrement, Kering s’est rarement payé dans un passé récent sous une base de 20x les bénéfices comme c’est le cas actuellement. Le groupe va qui plus est largement bénéficier de la réouverture de la Chine, marché sur lequel il est fortement exposé. Enfin, si l’acquisition de Tom Ford n’a pas aboutie, Kering a les poches pleines de cash et nul doute que le groupe sera offensif dans un futur proche pour acquérir de nouvelles marques ou se développer sur les parfums là ou le potentiel de ses marques n’est pas forcément bien exploité.


OPINION > ACHAT


Rappel : Ce travail n’est en aucun cas un conseil en investissement. Il vise simplement à produire une analyse d’une société cotée et tente de valoriser celle-ci au vu des éléments analysés.

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