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q.dyon

Nouvelle faillite et inutilité des notations ESG avec le cas Téléperformance

Les récentes révélations sur Téléperformance de la semaine dernière et son plongeon boursier avec jusqu’à -38 % sur la journée de jeudi m’ont donné envie de creuser un peu le sujet.

Je vais d’abord revenir sur quelques cas emblématiques de faillite des notations ESG avant de récapituler quelques éléments sur l’affaire Téléperformance. Dans une troisième partie, je détaillerai pourquoi à mon sens, même si elles partent d’une bonne idée, les notations ESG sont inutiles et présentent un danger pour le marché.


I – Les gros ratés des notations ESG


La plupart des gens sont sans doute familiers avec ce qu’est l’ESG. Pour les entreprises, les notations ESG sont censées représenter leurs performances en termes de prise en compte de l’environnement, de qualité du dialogue social et de transparence en termes de gouvernance.

Tout cela part d’un très bon sentiment : les entreprises qui font des efforts pour l’environnement ou pour un bon dialogue avec leurs salariés auront de bonnes notes sur ces critères et attireront plus d’investisseurs et fonds sensibles à ces thématiques.


C’est donc comme beaucoup de choses, une bonne idée sur le papier mais dans la réalisation on est bien loin de ça. Plusieurs grosses entreprises pourtant très bien notées sur le plan ESG se sont retrouvées au cœur d’énormes scandales qu’aucun cabinet d’analyse sur ces thématiques n’avait vu venir.


Premier cas emblématique, Volkswagen en 2015, avec le « Dieselgate ». Volkswagen bénéficiait de bonnes notes ESG lorsque le “Dieselgate” a éclaté. « Les agences de notations n’avaient aucun moyen de se rendre compte que le constructeur automobile trafiquait à grande échelle les émissions polluantes de ses moteurs. »

“Les agences ne travaillent pratiquement pas avec des experts techniques et ne maîtrisent pas toujours bien certains domaines d’activité”. Elles n’effectuent pas d’enquêtes de terrain, qui leur coûteraient très chères. Elles ne font pas d'entretiens avec les salariés ni les clients”


Deuxième exemple très emblématique, Orpea. Avant la publication du livre « les fossoyeurs »:

- Vigeo le classe 4e meilleur acteur sur les 47 du secteur

- Sustainalytics lui accorde une belle 5e place sur pas moins de 113 sociétés

- ISS ESG octroie un taux de transparence de 80% au numéro un des maisons de retraite en France

Je ne rentrerai pas dans le détail ici mais les fautes d’Orpea ont été nombreuses et criantes. Le livre est accablant sur les pratiques de la société. Les manquements de l’ancienne direction comme la vente d’un beau paquet d’actions juste avant la publication du livre ou le dessous de table pour empêcher sa sortie ne collent pas avec une société bien notée pour sa gouvernance.


On pourrait aussi citer BP, bien notée sur sa responsabilité sociale avant l’explosion de sa plateforme pétrolière Deewater Horizon ; ou encore La poste qui obtient le meilleur score d’une agence de notation la même année ou un reportage d’envoyé spécial dénonce une vague de suicide dans l’entreprise ...


II – Le cas Téléperformance


Comme les entreprises citées précédemment, Téléperformance était un bon élève ESG. Avec son score A-, elle se classait dans le haut du classement des entreprises du CAC40 (sources zone Bourse)

Plutôt que de donner un récapitulatif des événements, je vais essayer de revenir sur certains points. Voici en quelques phrases ce qui reproché à la société :


« Teleperformance a employé des modérateurs de contenu TikTok qui gagnaient à peine 10 dollars par jour, selon les informations du Time. L'enquête révèle que "les travailleurs étaient régulièrement tenus de voir des vidéos montrant des meurtres, des abus d'enfants et des violences sexuelles dans le cadre de leurs fonctions". En outre, ces derniers ont été empêchés de se syndiquer avec intimidations et menaces.

Avec l’émergence des réseaux sociaux, les activités de modération sont en plein boom. Beaucoup d’entreprises Américaines et Européennes gèrent ces activités partout dans le monde, y compris en Europe que ce soit pour Youtube, Tik Tok, Facebook ... Et notamment en Irlande où les offres d’emplois de modérations se comptent en milliers. Dans ces offres d’emplois il est clairement stipulé que les contenus peuvent être très choquants.

En faisant un minimum de recherche sur ces activités de modération, on pouvait donc trouver très facilement de quoi il en retournait. C’est aussi partie intégrante du rôle de modérateur d’intervenir afin d’éviter que ce genre de contenu se retrouve disponible pour le plus grand nombre. Alors comment être surpris par ces révélations à moins de ne pas être du tout au fait des activités de l’entreprise en question ?

En outre, la société tend à relativiser cette affirmation :

« les modérateurs de Teleperformance sont assez peu soumis à des contenus "odieux", qui sont finalement "très rares", à moins de 1 pour 1 million de visionnages en Colombie »


Des reproches sont également faits à Téléperformance sur ses salaires. De fait, il n’est pas élevé mais il ne semble pas être en dehors des standards du pays. La société a également indiqué que son taux de turnover sur la partie modération était largement inférieur au reste de ses activités :

« Les salaires des modérateurs débutent à "145% du salaire minimum de Colombie qui est de 208 dollars"

«les modérateurs colombiens ont moins tendance à quitter leur travail que leurs collègues de Teleperformance sur d'autres métiers, avec un taux de départ mensuel de 3,06%, contre 8,33% pour les employés »


"Nous avons décidé d'ouvrir une enquête contre Teleperformance", a tweeté Edwin Palma Egea, vice-ministre des Relations au Travail de la Colombie. "Nous avons notifié l'entreprise et invitons tous les travailleurs et organisations syndicales du pays à nous fournir des preuves de violations présumées des normes du travail"

Côté Téléperformance, le son de cloche est bien différent :

"A ce jour, le groupe n'a reçu aucune notification officielle de la part du gouvernement colombien"

Il semble s’agir ici d’une charge du gouvernement Colombien contre le groupe Français (justifiée ou non, c’est à débattre), gros employeur dans le pays avec pas moins de 42,000 personnes. La société a clairement indiqué dans son communiqué ne pas avoir été notifiée de l’enquête du gouvernement Colombien. Le ministre, lui, avec son tweet, invite tous les travailleurs qui le souhaitent à faire remonter toutes les preuves à disposition. Il s’agit donc plus des prémices d’une enquête. Téléperformance a depuis indiqué avoir initié des contacts avec le cabinet du ministre, qui, dans un récent tweet salue « un bon signal » de la part du groupe Français.


Alors que son cours de bourse était en déroute avec une baisse jusqu’à -38 % dans la journée, la société a obtenu une suspension provisoire de son titre pour se donner le temps de réagir. Elle a publié un communiqué en fin de journée :

« Le groupe se dit confiant sur les résultats d'un tel contrôle, l'équipe de direction de la filiale en Colombie ayant toujours développé la société dans le respect de la loi"

« le groupe considère que le titre Teleperformance constitue "une allocation opportune de sa trésorerie dans le cadre de la loi". En conséquence, ses dirigeants ont décidé d'affecter un montant initial de 150 millions d'euros à un programme de rachat d'actions, dans le cadre de l'autorisation donnée par l'assemblée générale des actionnaires du 14 avril 2022 »

Dans son communiqué, la société affirme sa confiance face à la situation et confirme être dans son droit en ayant toujours respecté la loi. Sa confiance est telle, qu’elle communique immédiatement sur un vaste rachat d’action de 150 millions d’euros qu’on imagine intervenir rapidement. Une réaction pleine de panache.

Elle annonce quelques jours plus tard une rencontre avec le ministre du travail Colombien. Situation de crise oblige, la société a déjà un plan de bataille pour la suite au cas où les choses tourneraient mal.


« La modération de contenu représente de son côté environ 7% du chiffre d’affaires de la société et 15.000 personne [...]. Le directeur général du groupe, Daniel Julien, n’a pas totalement exclu d’abandonner cette activité dans le cas où la confiance ne serait pas rétablie auprès du marché. »

"Le PDG a déclaré qu'il faudrait "équilibrer soigneusement" les considérations dans le cas où les investisseurs ne seraient pas convaincus du bien-fondé de rester dans l'activité de modération de contenu (c'est-à-dire si elle continue à pénaliser les multiplies de valorisation)"

Téléperformance a depuis indiqué se désengager des activités de modération « trust and safety ».


III – Pourquoi les notations ESG sont inutiles et présentent un danger ?


Premièrement, la liste de scandales qui ne fait que s’allonger au fil des années le démontre : les notations ESG n’ont aucune utilité pour prédire certains scandales.


Ensuite, les notes ESG c’est surtout à l’heure actuel un bel outil marketing utilisé pour attirer les investisseurs et qui se fiche pas mal au fond de savoir si ces entreprises sont vraiment responsables ou non.

Ce système sert donc à mettre en avant certaines entreprises qui font bel effet dans les brochures des gérants de fond. C’est une nouvelle technique pour attirer les investisseurs tout en surfant à plein régime sur le désir des gens d’avoir une approche plus responsable, plus éco-friendly


Dernier point et le plus important à mon sens, c’est le danger de l’adoption de ces standards ESG par de plus en plus de fonds.

"Beaucoup de fonds ESG ont décidé de solder leur position sur Téléperformance sans attendre d'avoir plus d'informations au sujet de cette enquête »


Oui, une action aussi solide que Téléperformance, une des actions les plus solides du CAC40 peut perdre 38 % sur un tweet à cause de fonds qui ne font même pas la démarche de creuser les informations.


Un groupe qui emploie des centaines de milliers de personnes dans le monde peut se retrouver complémentent et durablement déstabilisé par des ventes massives de fonds qui vendent sans discernement et sans chercher à vérifier les informations ou faire un peu d’investigation.


Si la situation se rétablie vite sur un groupe qui a les reins solides ce n’est pas un problème en soi. Or la confiance et les investisseurs ne sont pas toujours faciles à faire revenir. On a bien vu récemment qu’avec la dégringolade du cours de bourse (Atos, Orpéa), ce sont de nouvelles problématiques qui se présentent et compliquent considérablement la vie des sociétés (poids de la dette qui peut changer drastiquement avec un cours de bourse au tapis, dépréciations, ventes d’actifs contraintes et au rabais …).


Attention il ne s’agit pas de défendre Téléperformance, il s’agit ici de réfléchir à l’impact que rapide et massif que peuvent avoir des allégations ou des campagnes de déstabilisations contre de grands groupes, qui, encore une fois, emploient des centaines de milliers de personnes dans le monde.


Les ventes massives des fonds ESG ont fait plonger le titre de 38 % en une seule matinée. La société a dû demander une suspension de cours pour se donner un peu de temps pour pouvoir réagir. Jusqu’où le titre aurait-il dévissé sans ça ?


Les agences de notation ESG font maintenant la pluie et le beau temps sur les marchés, permettant d’attirer les flux sur les titres les mieux notés. Un peu comme au temps ou les agences de notations financières avaient avaient encore une crédibilité. Le rôle de ces agences de notation financières (S&P, Moody’s, Fitch) a été avéré durant la crise financière de 2008. Les notes accordées ont été beaucoup trop généreuses, contribuant à la formation d’une bulle spéculative. Elles n’ont ensuite pas dégradé les titres de créances en temps voulu et l’on fait au pire des moments et brutalement, aggravant la crise. Un chiffre symbolise bien l’aberration du travail de ces agences de notation : 93 % des titres de produits hypothécaires commercialisés en 2006 ont été requalifiés plus tard avec la note « obligation pourrie ».

Pour en revenir aux agences de notation ESG ; elles donnent donc des notes qui n’ont pas d’utilité puisque ces dernières ne reflètent pas forcément les pratiques des entreprises (cf Orpéa), et comme les fonds ESG se dirigent tous vers les entreprises les mieux notées, on peut donc avoir des mouvements extrêmement violents à la baisse.


En 2015, l’ESG commençait à se développer et n’était pas aussi prégnant que maintenant. Volkswagen se sortirait-il aujourd’hui d’un scandale comme le « Dieselgate » ? Le groupe le ferait peut-être mais beaucoup plus difficilement qu’à l’époque …


Et le plus inquiétant dans tout cela, c’est que comme de plus en plus de fonds intègrent les problématiques ESG, ces mouvements déjà très violents à l’heure actuelle sur Téléperformance vont le devenir encore plus.


Enfin, quid des campagnes de déstabilisation ? On a eu l’exemple à plusieurs reprises de fonds activistes de vente à découvert qui mènent de véritables campagnes de dénigrement contre des groupes comme Casino par exemple. Imaginez le carnage d’une campagne de ce type sur une valeur gonflée de fonds ESG. On l’a vu avec Téléperformance, ces fonds ne se posent même pas la question de vérifier la véracité des informations ou si l’entreprise est dans son bon droit, ils soldent directement la position.


On risque donc avec la part de plus en plus grande de ces fonds thématiques d’assister à des drames boursiers dans le futur. Et pire encore, ce sera assez facile pour les fonds activistes en VAD de créer ses situations … Peut-être pas en attaquant frontalement mais en trouvant des relais prêts à publier des informations suffisamment crédibles sur ces sociétés.

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